Évaluation des risques : attention aux interprétations
22 février 2017 Laisser un commentaire
Définir le risque
Le mot « risque » serait issu de l’italien « risicare » signifiant « doubler un promontoire », puis ensuite « hasard qui peut causer une perte », donc la possible réalisation d’un événement défavorable.
Keynes précise que l’incertitude ne peut être appréciée sans lui adjoindre une part de subjectivité alors que le risque est une forme d’incertitude qui existe dans les lois de la nature, de la physique et qui peut être évalué à l’aide de probabilité objective. L’incertitude autour de la mesure d’une grandeur est un risque d’erreur probabilisable (c’est pour ce type d’incertitude qu’aurait été créée la loi de distribution normale). En finance, par exemple, l’incertitude autour de la valorisation d’une entreprise est soumise à la subjectivité humaine puisqu’aucune valeur de référence n’existe (au contraire de la position d’une étoile, même si on sait mal l’estimer).
L’évaluation des risques se représente souvent par la détermination de la probabilité de la réalisation d’un événement néfaste. Les exemples suivants, s’ils illustrent la démarche, donnent quelques signaux d’alertes dans l’interprétation des nombres.
Exemples en assurance
Selon Solvabilité 2, les fonds propres seraient déterminés afin qu’une faillite ne se produise qu’avec une probabilité 1/200 chaque année. Ceci est souvent traduit en affirmant que l’organisme d’assurance fera faillite une fois tous les 200 ans en moyenne. Voyons rapidement en quoi cette traduction est malheureuse. En effet, celle-ci suppose déjà que les exercices annuels sont indépendants ce qui est loin d’être vrais, les bons résultats d’une année créant un peu plus de fonds propres pour l’année suivante. Mais entrons un peu dans les détails mathématiques. En acceptant cette hypothèse d’indépendance, la probabilité d’un défaut la nème année de l’organisme vaut (1-0.5%)n-1 x (0.5%) (loi géométrique de paramètre 0.5%). L’espérance est bien 1/0.5% = 200 ans et son écart-type environ 199.5 ans. L’écart-type est du même ordre que la moyenne ce qui rend cette dernière peu informative. La probabilité d’occurrence du défaut au bout de 200 ans est extrêmement faible, environ 1.8 10-3. Il est plus envisageable de faire défaut avant. D’ailleurs l’année de défaut la plus probable est l’année n°1 !
Prenons un angle différent et considérons les 595 (selon l’ACPR en 2015) organismes d’assurance en France soumis à Solvabilité 2. Tous vont avoir une probabilité théorique 1/200 de faire défaut. Quelle est alors, pour une année donnée, la probabilité d’avoir au moins un défaut ? Si on suppose les organismes indépendants, ce qui est une hypothèse peu conservatrice, cette probabilité est proche de 95%. On peut également évaluer la probabilité d’avoir exactement 1, 2,…, 10 défauts,… par une loi binomiale de paramètres 595 et 1/200. Nous résumons ceci par le graphique ci-dessous.
La distribution totale nous indique que le nombre de défauts le plus probable est 2 et son espérance de défaut est proche de 3 défauts par an (avec un écart-type de 1.7).
Plus le temps passe, ou plus les épreuves sont importantes, plus il devient probable d’observer un événement, jugé impossible tellement sa probabilité est faible : la répétition presque indéfinie crée l’invraisemblance.
Poussons un peu plus loin la provocation. Il est relativement simple de construire un événement réaliste, pour le moment fictif, qui provoquerait la ruine d’une société d’assurance : par exemple un accident d’avion sur des installations nucléaires… Il est impossible en revanche d’estimer rigoureusement cette probabilité et d’affirmer qu’elle serait inférieure aux 0.5% à atteindre. Avec un tel niveau de gravité, les probabilités ne veulent pas dire grand-chose (voir également les réflexions de Nassim Taleb sur la détermination des petites probabilités).